dimanche 30 octobre 2016

Histoire de l'immigration Au Canada

À l’image d’un tableau pointilliste, l’histoire du Canada s’est écrite par petites touches successives. Quatre siècles de flux migratoires qui constituent aujourd’hui une grandiose fresque du vivant.
À son arrivée au Canada, le 3 juillet 1608, Samuel de Champlain n’a pas eu à passer au contrôle des passeports, ni à soumettre son trois-mâts à une fouille rigoureuse. Il est allé directement planter son drapeau fleurdelisé près de l’actuelle place Royale, à Québec, et a pris possession du territoire au nom de la France.
Il n’était pas le premier Européen à fouler le sol du Nouveau Monde, mais il y a fondé une des premières colonies permanentes du Canada. Lui et son équipage comptent parmi nos premiers immigrants.
C’est dans l’espoir d’un avenir meilleur que les migrants parcourent de grandes distances, souvent parsemées de rudes épreuves. Champlain et ses hommes étaient en quête d’un nouveau territoire et misaient sur la traite des fourrures pour apporter gloire et richesse à la France. Mais ils se sont plutôt retrouvés aux prises avec la misère, la faim et la mort. Au printemps 1609, seuls 8 des 24 hommes arrivés en 1608 avaient survécu au dur hiver.
Les critères qui ont généralement caractérisé l’immigration au Canada sont d’ordre économique et ethnique. Le commerce et la demande de marchandises canadiennes ont fait croître les besoins en immigrants, et les questions ethniques ont dicté les politiques concernant la provenance de ces derniers.
Pendant presque toute l’histoire du Canada, les décideurs ont favorisé l’arrivée de gens venant des îles Britanniques et, ensuite, de gens dont les caractéristiques sociales et religieuses étaient semblables aux nôtres, nommément des Américains et des Nord-Européens. Les autres ont souvent fait l’objet de discrimination.
Le Canada ouvre maintenant ses portes aux réfugiés et aux déplacés, la compassion devenant ainsi un autre élément fondamental de sa politique d’immigration.

LES PREMIÈRES MIGRATIONS ET LES GRANDS DÉPLACEMENTS

Les archéologues pensent que les ancêtres des Premières Nations du Canada sont venus d’Asie par le détroit de Béring il y a au moins 12 000 ans, et se sont établis sur ce qui est aujourd’hui le territoire canadien. Au XVIIe siècle, toutefois, les Européens considèrent le Canada comme une contrée inoccupée qui ne demande qu’à être peuplée et exploitée. Les Français et les Anglais ne tiennent guère compte de la population autochtone.
Et celle-ci diminue dramatiquement à mesure qu’augmente l’immigration européenne. Des quelque 2 millions qu’ils étaient au début de la colonie, les Autochtones ne sont plus qu’entre 100 000 et 125 000 en 1867.
L’économie de la Nouvelle-France étant axée sur la traite des fourrures, les Français ne ressentent pas le besoin de dépenser pour étendre et défendre la colonie. Au moment de la conquête britannique en 1760, la population française du Canada est de quelque 65 000 âmes. Par comparaison, environ 1,6 million de personnes vivent dans les territoires américains de la Grande-Bretagne.
Pour contrer la menace que représente la population française, les vainqueurs britanniques déportent 10 000 Acadiens et tentent d’attirer de nouveaux colons anglais en offrant des terres gratuites. Mais le Canada n’est pas la destination de prédilection des immigrants britanniques et nord-européens, qui préfèrent les colonies américaines.
Heureusement pour les vainqueurs, un autre conflit entraîne une première grande vague d’immigrants anglophones. En 1783 et 1784, plus de 50 000 loyalistes britanniques et soldats de la Révolution américaine fuient les États-Unis pour gagner le Canada.

LA GRANDE MIGRATION VERS L’OUEST

Pendant la première moitié du XIXe siècle, l’immigration britannique contribue à peupler l’Ontario, mais c’est un autre événement qui permet d’accroître l’étendue du pays.
En 1869, le Canada achète de la Compagnie de la Baie d’Hudson, pour 1,5 M$, un territoire qui couvre à peu près le quart de l’Amérique du Nord. On souhaite que ce territoire devienne le grenier du Canada : des trains transporteront le blé vers l’Est et retourneront vers l’Ouest avec des marchandises des fabricants du centre du pays.
On subdivise le territoire en parcelles de 160 acres, on crée un corps de police, on construit un chemin de fer et on offre des terres gratuites. Mais presque personne ne vient. En 1881, on compte à peu près 10 000 fermes dans les Territoires du Nord-Ouest.
Le Canada ne séduit pas encore les immigrants. Élu en 1896, le gouvernement libéral de Wilfrid Laurier tente de remédier à cette situation en présentant le Canada à l’étranger comme un pays riche en terres et en possibilités.
Il organise des expositions et des campagnes publicitaires, et ouvre un bureau à Londres sur Trafalgar Square où des affiches promettent « des fermes de 160 acres gratuites ».
Les Britanniques viennent mais, peu doués pour l’agriculture, s’installent dans les villes. Ce sont plutôt les Américains qui répondent à l’appel, nombre d’entre eux ayant de l’expérience en agriculture, de l’argent, du matériel agricole et du bétail.
Lorsque l’Alberta et la Saskatchewan deviennent des provinces en 1905, les colons les plus nombreux arrivent des États-Unis. Entre 1900 et 1914, 750 000 Américains viennent au Canada, dont 1 500 Afro-Américains qui fuient les persécutions en Oklahoma.
Viennent aussi des Polonais, des Néerlandais, des Allemands, des Finlandais et des Scandinaves qui, après avoir immigré aux États-Unis, y ont trouvé les terres coûteuses et la colonisation difficile.
Clifford Sifton, ministre de l’Intérieur de Wilfrid Laurier, réussit à faire venir d’autres immigrants que les privilégiés Britanniques, Américains et Nord-Européens. Entre 1891 et 1914, par exemple, plus de 170 000 Ukrainiens arrivent au Canada.

LES GERMES D’UN PAYS MULTICULTUREL

Trois millions de migrants affluent au Canada entre 1900 et 1914, dont 500 000 Européens (Allemands, Hongrois, Norvégiens, Suédois, Islandais, etc.).
En 1911, plus d’un résident canadien sur cinq est né à l’étranger et la population du pays a bondi de 43 % en dix ans. On voit dès lors apparaître les germes d’un Canada multiculturel.
Les entreprises en quête de main-d’œuvre bon marché sont en faveur de l’immigration ouverte. « Ce que nous voulons, c’est une population, déclare le constructeur de chemin de fer sir William Van Horne. Qu’on laisse entrer tout le monde. Il y a du travail pour tous. »
Pour répondre à cette demande de travailleurs, le Canada accepte à contrecœur des immigrants venus du Sud et de l’Est de l’Europe, dont des Juifs. Le racisme et la concurrence appréhendée dans l’emploi font que la tolérance aux immigrants se limite à l’Europe.
Une exception : l’arrivée, entre 1880 et 1885, de 15 000 immigrants chinois affectés à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique. Cependant, une fois la construction terminée, le gouvernement impose aux immigrants chinois une taxe d’entrée de 50 $ pour décourager la venue et l’installation des épouses et des enfants.
La taxe est ensuite portée à 200 $, soit environ la moitié du salaire annuel d’un travailleur d’usine. En 1923, l’adoption de la Loi de l’immigration chinoise met fin à l’immigration et à la réunification des familles chinoises. Elle sera abrogée en 1947, mais les restrictions imposées à l’immigration asiatique ne prendront fin qu’en 1967.
Les Asiatiques ne sont pas les seules victimes de racisme. Les premiers immigrants venant de l’Inde arrivent à Victoria et à Vancouver en 1904 et travaillent surtout dans l’industrie forestière. En 1914, le navire Komagata Maru accoste à Vancouver avec à son bord 376 passagers pendjabis. Mais les autorités canadiennes n’acceptent pas ces nouveaux venus.
S’ensuit une impasse de deux mois, pendant laquelle le bateau est ancré au large et les provisions diminuent. Finalement, un navire militaire canadien escorte le Komagata Maru hors des eaux canadiennes. Le 18 mai dernier, à la Chambre des communes, le premier ministre Justin Trudeau a présenté les excuses du Canada pour cet incident.
Au cours de la même période, les Afro-Américains qui tentent d’immigrer en Alberta sont refoulés à la frontière parce qu’ils sont jugés médicalement inaptes.
Après la Première Guerre mondiale, la crise économique et la xénophobie freinent grandement l’immigration. En 1913, le Canada avait reçu 400 000 immigrants. Or, pendant les années 1920, la moyenne annuelle s’établit à 54 000, et ces nouveaux arrivants proviennent encore des pays privilégiés.
Au cours de la décennie suivante, l’immigration diminue encore plus radicalement et le Canada déporte environ 30 000 nouveaux venus qui n’ont pas de travail rémunéré ou qui se sont attiré des ennuis.

LES OBSTACLES TOMBENT

La Seconde Guerre mondiale relance l’industrie canadienne, et l’économie de l’après-guerre connaît une forte expansion. Le pays accueille 48 000 épouses de guerre britanniques (et 22 000 enfants) ainsi que de nombreux Européens du Sud (Italiens, Grecs, etc.) et Européens de l’Est.
Pendant cette période, on réforme les lois pour créer la citoyenneté canadienne. Auparavant, les Canadiens étaient légalement assimilés aux Britanniques. Entre autres changements, la Loi sur la citoyenneté canadienne donne aux femmes mariées le droit à la citoyenneté en tant que personnes indépendantes. (Avant 1947, elles appartenaient à la catégorie des mineurs, des fous et des idiots « étant atteints d’une infirmité ».)
Les nouveaux arrivants ont des compétences plus étendues que celles de leurs prédécesseurs et possèdent la formation professionnelle que requiert une économie moderne. Entre 1950 et 1960, les nouveaux immigrants comptent pour près de la moitié de l’augmentation de la main-d’œuvre canadienne.
En 1962, le Canada élimine les politiques raciales qui favorisent certaines catégories d’immigrants et accepte désormais toutes les personnes en santé, non parrainées et qualifiées, à condition qu’elles aient un emploi (ou les moyens de subsister en attendant d’en trouver un).
Cinq ans plus tard, le Canada adopte un système de cotation des candidats à l’immigration qui accorde des points en fonction de l’âge, du niveau d’études, de la maîtrise de l’anglais ou du français et de certaines qualifications en demande au Canada. Aujourd’hui encore, l’entrée permanente au pays repose sur une variante de ce système.
Au fil du temps, on a reconnu l’apport des communautés culturelles au dynamisme et à la prospérité du pays, d’où une plus grande acceptation des minorités.
Et l’immigration s’est diversifiée. Avant 1991, les arrivants provenaient surtout du Royaume-Uni mais, entre 2001 et 2006, les immigrants d’origine britannique se classaient au 9e rang, derrière ceux venant de la Chine, de l’Inde, des Philippines, du Pakistan, des États-Unis, de la Corée du Sud, de l’Iran et de la Roumanie.

L’ÉDIFICATION DE LA NATION SE POURSUIT

Statistique Canada prévoit qu’en 2031, plus de 11,4 millions de Canadiens (environ 3 sur 10) appartiendront à une minorité visible et que la proportion de citoyens nés à l’étranger dépassera 25 %. En 1981, les Canadiens issus d’une minorité visible représentaient 5 % de la population.
Le Canada accueille régulièrement des réfugiés touchés par les conflits, la répression politique et les catastrophes naturelles. En 1923, il a reçu environ 5 000 Juifs qui s’étaient réfugiés en Roumanie en raison de la guerre et de la Révolution russe, puis qui avaient été chassés de leur pays d’adoption. (Une ombre au tableau : le gouvernement libéral de W.L. Mackenzie King s’est montré indifférent au sort des Juifs qui fuyaient la persécution nazie en Allemagne pendant les années 1930.)
Depuis lors, des réfugiés hongrois, chiliens, ougandais et vietnamiens ont trouvé un asile sûr au Canada.
Le plus récent afflux de réfugiés au Canada provient de la Syrie. La mise en place du programme visant à accueillir 25 000 Syriens déplacés en raison de la guerre civile a été l’une des premières actions du nouveau gouvernement libéral l’automne dernier.
Comme d’innombrables immigrants avant eux, ces nouveaux arrivants contribueront désormais à la vie de notre pays. Conscient que notre nation se renouvelle avec chaque nouvelle vague d’immigrants, le poète Irving Layton disait en 1973 : « Un Canadien, c’est quelqu’un qui ne cesse de se demander ‘Qu’est-ce qu’un Canadien?’ »

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